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Covid-19 et prison : l’État n’est pas tenu de fournir des masques aux détenus de Toulouse-Seysses

Pénal - Peines et droit pénitentiaire
13/10/2020
Le Conseil d’État a annulé l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse qui enjoignait à l’administration pénitentiaire de mettre à la disposition des personnes détenues des masques de protection dans les locaux clos et partagés n’impliquant aucun contact avec des personnes extérieures à l’établissement ainsi que dans les cours de promenade et d’organiser une campagne de dépistage du virus au sein de l’établissement. En revanche, les masques doivent être fournis aux détenus lors de leurs contacts avec des personnes de l’extérieur. 
Le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a été saisi d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses :
- de mettre à disposition des détenus des masques de protection contre la Covid-19 dans tous les locaux clos et partagés (zones d’attente, postes de travail et activité, salles de visio-conférence, zone de promenade) ;
- et de procéder à une campagne de dépistage du virus sur la base du volontariat et dans le respect du secret médical.
 
Le 4 septembre 2020, le juge des référés fait droit à ces demandes et enjoint au chef d’établissement pénitentiaire d’organiser une campagne de dépistage et de mettre à disposition des détenus des masques dans tous les locaux clos et partagés et également « dès lors qu’il y a un doute sur la possibilité d’organiser ou de faire respecter la distance physique, dans la zone de promenade ».
 
Le garde des Sceaux a relevé appel de cette ordonnance. Il demande d’annuler l’ordonnancesoutenant que le recours à une campagne de dépistage massive « constitue une obligation disproportionnée compte tenu du nombre de personnes détenues diagnostiquées positives à la Covid-19 », que des masques sont déjà mis à disposition dans la majeure partie des locaux cités et que certains lieux ont une superficie permettant de respecter la distanciation physique.
 
Et les avocats présentent des conclusions d’appel incident pour qu’il soit enjoint au chef d’établissement de fournir des masques dans la zone de promenade « sans que cette mise à disposition soit subordonnée à l’existence d’un doute quant à la possibilité d’organiser ou de faire respecter la distance physique entre les personnes détenues ».
 
Le Conseil d’État, le 8 octobre 2020, rappelle que des mesures ont été prises pour protéger les personnes détenues du risque d’exposition au virus. L’objectif est de créer un « anneau sanitaire » autour des détenus : dépistage, isolement des nouvelles personnes incarcérées, port du masque par le personnels pénitentiaires, distanciation physique, etc.
 
Mais s’agissant du port de masque dans les espaces clos, le Conseil d’État juge qu’il « résulte toutefois de l’instruction, et notamment des attestations produites par les défendeurs et des débats à l’audience, qu’il existe une incertitude quant à l’application constante et systématique des mesures en cause ». Pour la Haute juridiction, il y a une incertitude sur le point de savoir si dans les faits, des masques sont systématiquement donnés aux détenus lors de leurs contacts avec des personnes de l’extérieur, comme cela est prévu depuis mai 2020. Il confirme alors l’injonction de fournir des masques aux détenus dans ces situations.
 
En revanche, en ce qui concerne les activités sans contact avec l’extérieur, le Conseil d’État note qu’en plus des mesures prises, aucun cas de Covid-19 n’a été avéré ou suspecté et l’établissement ne se trouve pas en zone d’alerte maximale. Ainsi, il considère que l’absence de masques pour les activités sans contact avec l’extérieur ne révèle pas « à la date de la présente ordonnance, une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ».
 
Dans les cours de promenade, il résulte de l’instruction qu’une organisation des promenades a été mise en place pour prévenir le risque de contamination au virus. Précision : le ministre de la Justice a affirmé que tous les nouveaux arrivants ont obligation du port du masque dès la sortie de la cellule, y compris en cour de promenade. Alors compte tenu de ces éléments, « il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, que l’absence de mise à disposition des personnes détenues de masques de protection dans les cours de promenade autres que celles réservées aux nouveaux arrivants révèlerait, à la date de la présente ordonnance, une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ». La décision du tribunal administratif de Toulouse est donc annulée sur ce point.
 
En ce qui concerne le dépistage du virus, « En l’état actuel de la doctrine sanitaire du ministère des solidarités et de la santé, le dépistage général de l’ensemble des détenus et des personnels d’un établissement pénitentiaire n’est estimé pertinent que dans la seule hypothèse où au moins trois personnes se révèlent contaminées, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle ». De plus, le juge des référés du Conseil d’État relève qu’une procédure est déjà prévue dans la prison : si un détenu présente des symptômes susceptibles d’être liés au virus, il est immédiatement isolé et testé, une procédure de traçage est mise en place et selon les résultats une campagne de dépistage pourra être organisée.
 
Ainsi le Conseil d’État décide qu’à la date de la présente ordonnance, il n’apparaît pas que « l’absence de dépistage systématique de l’ensemble des personnes détenues au centre pénitentiaire Toulouse-Seysses révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ».
 
Le Syndicat des avocats se questionnait alors « Pourquoi tant d’obstination à ne pas mettre de masques à disposition des détenus ? La propagation du virus n’impose-t-elle pas à la Chancellerie de mettre immédiatement en œuvre tous les moyens nécessaires à la prévention de la santé des prisonniers ? ». Il dénonce également le délai, le juge intervenant 6 semaines après le dépôt de la requête initiale (SAF, 11 oct. 2020).
 
À noter néanmoins que deux détenus et trois gardiens de la prison de Toulouse-Seysses auraient été dépistés positifs à la Covid-19 au lendemain de cette décision (Franceinfo, 12 oct. 2020). Et Toulouse est passée en zone d’alerte maximale, ainsi tous les détenus sont désormais dotés de masques pour circuler hors de cellule (OIP, 12 oct. 2020).
 
Source : Actualités du droit