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Détention provisoire et Covid-19 : une demande de mise en liberté rejetée

Pénal - Procédure pénale, Peines et droit pénitentiaire
23/09/2020
Dans un arrêt du 16 septembre 2020, la Cour de cassation affirme qu’un détenu placé à l’isolement ne peut se prévaloir de l’incidence d’une telle mesure sur ses conditions d’incarcération à l’occasion d’une demande ayant trait à la détention provisoire. Elle se prononce également sur les conditions de détention dans le contexte de l’épidémie de Covid-19.
Un gardien de la paix est mis en examen pour avoir tué sa compagne. Il est placé sous mandat de dépôt le 29 février 2016. L’affaire est audiencée devant la cour d’assises les 10 et 11 octobre 2019 mais compte tenu du nombre de témoins et experts cité, un renvoi est ordonné au 5 au 8 octobre 2020.
 
Une demande de mise en liberté est déposée par les avocats de l’intéressé le 10 avril 2020. Ils dénoncent des conditions de détention indignes en raison notamment du placement à l’isolement depuis 4 ans de l’intéressé et de la situation sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19. La demande est rejetée par la chambre de l’instruction qui affirme que :
- l’isolement, qui affecte le régime de détention, a été mis en place pour la protection du gardien de la paix ;
- un avis favorable à la mainlevée de cette mesure avait été émis en novembre 2019 mais la décision appartient à l’administration pénitentiaire ;
- les considérations tenant à la situation sanitaire actuelle sont générales et aucun élément ne permet d’établir qu’elle touche directement l’intéressé donc elles ne doivent pas être prises en considération dans le cadre d’une demande en liberté.
 
Un pourvoi est formé par le détenu.
 
Dans un arrêt du 16 septembre 2020, la Cour de Cassation le rejette. Elle note dans un premier temps, qu’il découle des articles 137-3, 144 et 144-1 du Code de procédure pénale que le juge, pour statuer sur la nécessité de placer ou maintenir une personne en détention provisoire, tient compte des « impératifs de la procédure judiciaire, des exigences de préservation de l’ordre public et du caractère raisonnable de la durée de cette détention ».
 
De plus, il est rappelé que suite à la condamnation de la France par la CEDH le 30 janvier 2020 (CEDH, 30 janv. 2020, n° 9671/15, J.M.B et autres c. France, v. Surpopulation carcérale : la France épinglée par la CEDH, Actualités du droit, 6 févr. 2020), la Cour de cassation a jugé que les conditions indignes de détention peuvent constituer un obstacle à sa poursuite (Cass. crim., 8 juill. 2020, n° 20-81.739, v. Libération d’un détenu pour conditions de détention indignes : c’est désormais possible !, Actualités du droit, 8 juill. 2020), ainsi « le juge judiciaire a, dans un tel contexte, l’obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant d’empêcher la continuation de la violation de l’article 3 de la Convention » précise l'arrêt.
 
 
Notons que dans son arrêt du 8 juillet 2020, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une QPC portant sur l’absence de recours effectif prévu dans la loi pour les personnes dont les conditions de détention constitueraient une atteinte à la dignité humaine. Cette question a été examinée mardi 22 septembre par le Conseil qui doit rendre sa décision le 2 octobre (Cass. crim., 8 juill. 2020, n° 20-81.739, v. Libération d’un détenu pour conditions de détention indignes : c’est désormais possible !, Actualités du droit, 8 juill. 2020).
 
 
S’agissant de l’isolement, l’article 726-1 du Code de procédure pénale prévoit qu’une personne soumise à une telle mesure, peut saisir le juge des référés en application de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Le Conseil d’Etat (CE, 7 juin 2019, n° 426772) statuant sur le sujet a jugé que la décision de placement d’office à l’isolement ainsi que ses éventuelles prolongations portent « en principe, sauf à ce que l'administration pénitentiaire fasse valoir des circonstances particulières, une atteinte grave et immédiate à la situation de la personne détenue, de nature à créer une situation d'urgence justifiant que le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, puisse ordonner la suspension de leur exécution s'il estime remplie l'autre condition posée par cet article ». En outre, la personne détenue dispose d’un recours préventif effectif devant le juge administratif pour faire cesser une éventuelle violation de l’article 3 de la CEDH.
 
Dans ce contexte, la Haute juridiction affirme donc que :
- le détenu n’est pas fondé à se prévaloir de l’incidence d’une mesure d’isolement sur ses conditions d’incarcération à l’occasion d’une demande concernant la détention provisoire, alors qu’il dispose d’un recours effectif devant le juge administratif ;
- et l’allégation d’un risque sanitaire ne peut prospérer, « l’intéressé n’ayant pas préalablement allégué que sa vie avait été exposée à un risque réel et imminent en raison de conditions personnelles de détention dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, ni établi que les mesures sanitaires nécessaires pour prévenir l’entrée et/ou la propagation du virus Covid-19 au sein de l’établissement pénitentiaire concerné n’auraient pas été mises en œuvre ».
 
À noter que la Cour de cassation s’est déjà prononcée sur une demande de mise en liberté fondée sur un risque élevé pour la santé et la sécurité du demandeur en période de crise sanitaire (Cass. crim., 19 août 2020, n° 20-82.171, v. Détention provisoire, crise sanitaire et demande de mise en liberté, Actualités du droit, 26 août 2020). Elle affirmait que pour retenir une violation des articles 2 et 3 de la CEDH, le détenu devait faire état de ses conditions personnelles de détention de façon suffisamment crédible, précise et actuelle pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne. Tel n’était pas le cas en l’espèce, le pourvoi du détenu a donc été rejeté.
 
 
Source : Actualités du droit