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Covid-19 : ce que prévoit l’ordonnance adaptant la procédure pénale

Pénal - Procédure pénale, Peines et droit pénitentiaire
25/03/2020
Le Parlement a débattu pendant quatre jours de trois projet de loi, dont celui de loi ordinaire dit Urgence pour faire face au Covid-19. La loi a été publiée le 24 mars 2020 au Journal officiel. Elle habilite le gouvernement à prendre pas moins de vingt-cinq ordonnances. Volet Justice, Nicole Belloubet a annoncé la publication de cinq ordonnances, dont l’une pour adapter la procédure pénale. 
L’article 11 de la loi Urgence pour faire face au Covid-19 (L. n° 2020-290,  publiée le 24 mars au Journal officiel (v. La loi Urgence pour faire face au Covid-19 est votée !, Actualités du droit, 23 mars 2020), autorise le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance dans un délai de trois mois à compter de la publication de cette présente loi, des mesures provisoires portant notamment sur la procédure pénale (v. Covid-19 : une future ordonnance pour adapter la procédure pénale, Actualités du droit, 20 mars 2020).
 
Un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication des différentes ordonnances. Un amendement adopté en séance publique au Sénat prévoit que « les projets d'ordonnance (…) sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire » (TA Sénat n° 382, 2019-2020, amendement n° 74). À noter tout de même que ces mesures peuvent « entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020 ».
 
Pas moins de 25 ordonnances ont été présentées en conseil des ministres le 25 mars 2020.
 
Objectif : respecter les garanties essentielles
La ministre de la Justice a tenu à rappeler lors de la conférence de presse tenue à la suite du conseil des ministres du 25 mars que l’idée de ces ordonnances est de répondre à plusieurs défis, à savoir :
- le respect des consignes liées à l’urgence sanitaire ;
- la sécurité juridique ;
- l’impossibilité de traiter les contentieux courants mais la nécessité de traiter les contentieux urgences ;
- de respecter les garanties essentielles qui fondent notre système judiciaire.
 
« Dans ce cadre nous avons pris un certain nombre de décisions pour maintenir une activité pénale dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux exigences de l’état de droit » précise la garde des Sceaux. 
 
Une adaptation des règles de procédure pénale limitée dans le temps
Il est prévu que les règles de procédure pénale soient adaptées pour « permettre la continuité de l’activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l’ordre public » précise le rapport au président de la République.
 
À noter que les adaptations sont applicables jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré.
 
Des dispositions pour maintenir une activité pénale
Le rapport au président de la République indique que des mesures organiseraient :
- la suspension des délais de prescription de l’action publique et de la peine à compter du 12 mars 2020 ;
- pour les voies de recours : les délais sont doublés et l’ordonnance prévoirait un assouplissement formel pour interjeter appel, former un pourvoi ou déposer des demandes, conclusions ou mémoires devant les juridictions pénales en permettant que ces actes soient réalisés par lettre recommandée avec accusé de réception ou par courriel ;
- une généralisation de la visio-conférence par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, l’accord des parties n’étant pas nécessaire.
 
La compétence des juridictions et la publicité des audiences
L’ordonnance disposerait que :
- dans l’hypothèse où une juridiction pénale de premier degré ne peut fonctionner, le premier président de la cour d’appel désigne une autre juridiction de même nature et dans le même ressort pour connaître tout ou partie de l’activité de la juridiction en question ;
- les audiences peuvent se tenir en publicité restreinte, à huis clos, ou en chambre du conseil.
 
Élargissement des possibilités de statuer à juge unique
Selon le rapport au Président de la République, des dispositions relatives à la composition des juridictions n’entreront en vigueur « dans tout ou partie des juridictions, qu’en application d’un décret constatant la persistance d’une crise sanitaire de nature à compromettre le fonctionnement des juridictions ». Ainsi il est prévu,  à moins que le président de la juridiction décide de renvoyer l’affaire en formation collégiale au regard de la complexité ou de la gravité des faits :
- qu’en matière correctionnelle, toutes les audiences de la chambre de l’instruction, du tribunal correctionnel, de la chambre des appels correctionnels et de la chambre spéciale des mineurs puissent se tenir à juge unique ;
- que le tribunal pour enfants et la chambre de l’application des peines puissent siéger sans les assesseurs non professionnels ;
- que le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines puissent siéger à juge unique.
 
L’ordonnance prévoirait également que le président du tribunal judiciaire puisse désigner l’un des magistrats du siège pour « exercer les fonctions du  juge d’instruction s’il est absent, malade ou autrement empêché ».
 
Des mesures d’adaptation concernant la garde à vue
Le texte ordonnerait que :
- les entretiens ainsi que l’assistance au cours des auditions peuvent se dérouler par l’intermédiaire d’un moyen de télécommunication si l’avocat de la personne en garde à vue accepte, ou le demande, et lorsque cet échange est matériellement possible à l’officier de police judiciaire, toujours dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges ;
- la garde à vue peut être prolongée sans que la personne concernée soit présentée devant le magistrat compétent, y compris pour les mineurs âgés de 16 à 18 ans.
 
Sur la détention provisoire et les assignations à résidence sous surveillance électronique
L’ordonnance porterait sur les détentions provisoires en cours, ou débutant à la date de publication de l’ordonnance, et ce jusqu’à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Il est prévu que :
- pour les détentions au cours de l’instruction, pour l’audiencement devant les juridictions de jugement des affaires renvoyées à l’issue d’une instruction mais encore l’audiencement en appel, la prolongation de plein droit des délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence électronique de deux, trois ou six mois selon la gravité des infractions en cause, y compris pour les mineurs âgés de plus de 16 ans en matière criminelle ou lorsqu’ils encourent une peine d’au moins sept ans d’emprisonnement ;
- les délais d’audiencement de la procédure de comparution immédiate et celle de comparution à délai différé pour les personnes placées en détention provisoire sont allongés ;
- pour statuer sur une demande de mise en liberté, sur l’appel d’une ordonnance de refus de mise en liberté ou sur tout autre recours concernant une personne placée en détention provisoire et d’assignation à résidence avec surveillance électronique ou de contrôle judiciaire, les délais impartis à la chambre de l’instruction ou à une juridiction de jugement sont prolongés d’un mois ;
- le délai imparti au juge des libertés et de la détention pour statuer sur une demande de mise en liberté passe de trois à six jours ouvrés ;
- lorsque la visioconférence n’est pas possible, la détention provisoire et la détention peuvent être prolongées sans débat contradictoire au vu des seules réquisitions écrites du procureur de la République et celles de la personne concernée ainsi que de son avocat, ce dernier peut néanmoins faire des observations orales devant le juge par tout moyen de télécommunication ;
- les délais impartis à la Cour de cassation pour statuer sur des pourvois concernant des personnes détenus ainsi que les délais de dépôt des mémoires par le demandeur ou son avocat sont augmentés.
 
Agir sur la « tension carcérale »
La ministre de la Justice a tenu à soulever que « un certain nombre de maisons d’arrêt font l’objet de surpopulation carcérale et cela peut poser des problèmes notamment sanitaires ». Elle rappelle alors que des mesures ont déjà été prises pour éviter les difficultés sanitaires (v. Covid-19 : des « mesures exceptionnelles » pour les détenus, Actualités du droit, 19 mars 2020).
 
Elle précise aussi que d’autres dispositions font partie des ordonnances, et agir « sur les personnes qui pourraient entrer en détention et sur celles qui en sortent ». Plus concrètement, pour les personnes qui pourraient entrer en détention, la ministre affirme qu’elle a demandé notamment « aux parquets de reporter la mise à exécution de peine d’emprisonnement de personnes qui seraient condamnées mais libres et qui ne présentent pas de danger immédiat pour les personnes », mais aussi « de n’envisager le placement en détention provisoire que pour les personnes présentant une réelle dangerosité ».
 
Pour les sortants, « nous avons pris des directives générales (…) mais au delà de cela l’ordonnance prévoit la simplification des dispositifs existants ou bien des dispositifs nouveaux ».
 
Ainsi,
- l’administration pénitentiaire peut fluidifier les affectations des détenus dans les établissements pénitentiaires pour répondre aux impératifs de santé publique et décider le transfert dans des établissements pénitentiaires ayant un quartier de quarantaine ou pouvant accueillir des détenus atteints d’une pathologie ;
- le juge de l’application des peines ou le tribunal de l’application des peines peut statuer sur les aménagements de peine sans comparution physique des parties et sur la base des observations écrites de chacun, sous réserve que l’avocat du condamné puisse demander à développer des observations orales ;
- les délais dans lequel la cour d’appel doit statuer sur les décisions du juge de l’application des peines en cas d’appel suspensif du parquet passent de deux à quatre mois ;
- la simplification des décisions en matière de réduction de peines, de sortie sous escorte, de permissions de sortir et de libération sous contrainte, qui pourront être décidées sans la consultation de la commission de l’application, à la condition que le procureur de la république émette un avis favorable ;
- la simplification des décisions en matière de suspension et de fractionnement des peines.
 
Trois dispositifs spécifiques ont été créés, à savoir :
- une réduction supplémentaire de la peine d’un quantum maximum de deux mois, sans avis de la commission de l’application des peines en cas d’avis favorable du procureur de la République, sont exclus de ce dispositif : les condamnés pour des faits de terrorisme ou des infractions commises au sein du couple, ceux ayant participé à une action collective de nature à compromettre la sécurité des établissements ou à en perturber l’ordre, ou ceux ayant eu un comportement contraire aux règles de civisme au regard du contexte sanitaire ;
- pour les détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à 5 ans et ayant deux mois ou moins de détention à subir, leur sortie anticipée est prévue sous la forme d’une assignation à résidence avec interdiction de sortir, sous réserve des déplacements justifiés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (v. Covid-19 : un décret précise les exceptions au confinement, Actualités du droit, 24 mars 2020) et en cas de non-respect ou de nouvelle infraction, l’assignation à résidence pourra être révoquée, sont exclus : les détenus condamnés mineurs, les personnes incarcérées pour les faits précités ainsi que des condamnés pour des faits commis à l’encontre d’un mineur de quinze ans.
- la possibilité de convertir le reliquat de six mois ou moins d’une peine d’emprisonnement en cours d’exécution en une peine de travail d’intérêt général, de détention à domicile sous surveillance électronique, de jours-amende ou d’un emprisonnement assorti d’un sursis probatoire renforcé.
 
« Entre 5 000 et 6 000 personnes pourront bénéficier de ce dispositif » a tenu à souligner la garde des Sceaux.
 
Pour les mineurs poursuivis ou condamnés
L’ordonnance prévoirait que le juge des enfants peut, d’office et sans audition des parties, proroger le délai d’une mesure de placement ordonnée en application de l’ordonnance de 1945, délai qui ne peut excéder quatre mois. Et les autres mesures éducatives ordonnées en application de cette ordonnance peuvent être prolongées pour une durée qui ne peut excéder sept mois.
 
Une publication au Journal officiel imminente
Après publication des ordonnances au Journal officiel, de vives réactions sont attendues, notamment du côté du Syndicat de la magistrature qui prévenait dans un communiqué publié le 25 mars que les « ordonnances feront - le cas échéant - l’objet d’observations par le Syndicat de la magistrature une fois qu’elles seront publiées mais l’étendue du champ des entorses possibles au droit commun ne peut qu’inquiéter, outre le fait que rien dans la loi ne vient circonscrire l’application dans le temps de ces mesures ».
 
Pour le syndicat des avocats de France, la vigilance est le maître mot. « Parce que nous savons que les lois d’exception servent de d’expérimentation pour les Gouvernements, nous serons particulièrement vigilants quant à l’inscription de l’ensemble de ces mesures dans la durée » publiait-il dans une lettre ouverte à la garde des Sceaux à la suite de la publication de la loi encadrant l’habilitation du gouvernement à aménager le fonctionnement de l’institution judiciaire.
 
 
Source : Actualités du droit