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Droit pénitentiaire : avalanche de décrets

Pénal - Peines et droit pénitentiaire
09/01/2020
Vague de décrets entre les fêtes de fin d’année également pour la matière pénitentiaire. Détenus violents, détenus radicalisés, formation par apprentissage dans les établissements pénitentiaires, renseignement pénitentiaire… Retour sur ces nouvelles dispositions. 
Pas moins de six décrets, pris entre le 26 et le 31 décembre 2019, sont venus modifier en profondeur la matière pénitentiaire. Focus sur ces différents textes :
 
  • Décret relatif aux unités pour détenus violents
Le décret n° 2019-1504 (D. n° 2019-1504, 30 déc. 2019, JO 31 déc.) a été pris en application de l’article 88 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a créé un article relatif aux personnes détenues pouvant avoir un comportement portant ou « susceptible de porter atteinte au maintien du bon ordre de l’établissement ou à la sécurité publique ». Elles pourront être « affectées au sein de quartiers spécifiques pour bénéficier d'un programme adapté de prise en charge et soumises à un régime de détention impliquant notamment des mesures de sécurité renforcée ».
 
Dans ce contexte, le décret, qui est entré en vigueur le lendemain de sa publication, est venu déterminer les conditions d’application du présent article et insère un Chapitre V Bis « Des quartiers spécifiques » dans le Code de procédure pénale. L’unité pour détenus violents est un quartier distinct permettant d’y affecter des « personnes détenues majeures qui présentent des antécédents de violences ou un risque de passage à l'acte violent, ou ont commis des violences en détention », si « leur comportement porte ou est susceptible de porter atteinte au maintien du bon ordre de l'établissement ou à la sécurité publique ». Étant précisé que le placement est une décision administrative et non une mesure disciplinaire.
 
Les cellules, individuelles, seront spécifiquement aménagées pour garantir des conditions de sécurité renforcées. Et les personnes qui y seront détenues, feront l’objet de mesures de sécurité individualisées, régulièrement réévaluées.
 
Sous réserve de leur personnalité, comportement, du maintien du bon ordre de l’établissement ou des impératifs de sécurité, les personnes détenues conservent leurs droits quant aux activités collectives et individuelles, et ceux relatifs « à l'information, aux visites, à la correspondance écrite et téléphonique et à l'utilisation de leur compte nominatif ».
 
Quant à la procédure de placement en unité pour détenus violents, il est prévu que le chef d’établissement  informe la personne détenue par écrit des motifs invoqués, après avis de la commission pluridisciplinaire unique, lorsqu’une décision de placement initial en unité, ou de renouvellement est envisagée. Cette dernière peut préparer des observations écrites ou orales, en présence d’un avocat ou non, dans un délai ne pouvant être inférieur à soixante-douze heures.
 
Ces observations sont jointes au dossier de la procédure. Ensuite, « le chef d'établissement transmet l'ensemble des éléments au directeur interrégional des services pénitentiaires qui prend la décision de placement en unité pour détenus violents ». Dans certaines conditions, le directeur interrégional peut déléguer sa signature au chef de l’établissement. Aussi, la décision de placement doit être motivée et notifiée sans délai à la personne détenue.
 
En cas de décision initiale, le placement ne peut excéder six mois et le directeur interrégional peut renouveler la mesure, « pour une durée d’au plus trois mois non renouvelable ».
 
« En cas d'urgence, le directeur interrégional des services pénitentiaires, ou le chef de l'établissement pour les personnes qui y sont déjà détenues, peuvent décider du placement provisoire de la personne détenue en unité pour détenus violents, si la mesure constitue le moyen le plus adapté de préserver la sécurité des personnes et de l'établissement », prévoit le décret. Une décision devra être prise dans un délai de quinze jours et dans l’hypothèse d’un placement, la durée du placement provisoire en unité s’imputera sur la durée totale de la mesure.
 
En cas de transfèrement d’un détenu en unité pour détenus violents vers un autre établissement, il « s'opère dans l'unité pour détenus violents de cet établissement ; s'il n'en comporte pas, le transfèrement emporte fin du placement en unité pour détenus violents ».
 
La commission pluridisciplinaire doit émettre un avis sur l’opportunité du maintien au sein de l’unité après chaque évaluation. Le directeur interrégional peut décider d’y mettre fin, d’office ou à la demande de la personne détenue après l’avis de la commission et du chef d’établissement. Lorsque c’est ce dernier qui décide du placement, il peut y mettre fin dans les mêmes conditions et en informer immédiatement le directeur interrégional.
 
« Toute décision de placement ou de renouvellement de placement en unité pour détenus violents est communiquée sans délai par le chef d'établissement au juge de l'application des peines s'il s'agit d'une personne condamnée, ou au magistrat saisi du dossier de la procédure s'il s'agit d'une personne prévenue », précise le décret. La commission de l’application des peines doit être informée au moins une fois par trimestre du nombre, de l’identité des détenus concernés et de la durée du placement pour chacun d’eux. Pour l’unité sanitaire, la liste sera communiquée à chaque modification de l’effectif.
 
  • Décret relatif aux quartiers de prise en charge de la radicalisation
Introduisant de nouvelles dispositions dans le Code de procédure pénale, le décret (D. n° 2019-1579, 31 déc. 2019, JO 1er janv.) est pris en application de l’article 88 de la loi programmation et réforme pour la justice. Le décret, entrant en vigueur le lendemain de sa publication, prévoit le régime de détention et la procédure de placement dans les quartiers de prise en charge de la radicalisation.
 
Une personne détenue peut être affectée au quartier distinct de prise en charge de la radicalisation :
  • « lorsque la commission pluridisciplinaire unique visée à l'article D. 90 le juge nécessaire, une personne détenue majeure peut être placée dans un quartier de prise en charge de la radicalisation spécialisé dans l'évaluation. L'évaluation réalisée au sein de ce quartier doit déterminer si la personne détenue présente une radicalisation nécessitant une prise en charge adaptée » la décision de placement relève de la compétence exclusive du ministre de la Justice et ne peut excéder quinze semaines ;
  • « lorsqu’une personne détenue majeure est dangereuse en raison de sa radicalisation et qu'elle est susceptible, du fait de son comportement et de ses actes de prosélytisme ou des risques qu'elle présente de passage à l'acte violent, de porter atteinte au maintien du bon ordre de l'établissement ou à la sécurité publique, elle peut être placée au sein d'un quartier de prise en charge de la radicalisation, dès lors qu'elle est apte à bénéficier d'un programme et d'un suivi adaptés », pour une durée maximale de six mois, renouvelable pour une nouvelle durée ne pouvant excéder six mois et au-delà, le garde des Sceaux est seul compétent pour prolonger une nouvelle fois pour six mois renouvelable. 
 
Dans la deuxième hypothèse du placement, la décision relève de la compétence exclusive du ministre de la Justice :
  • lorsqu’elle concerne des condamnés à une ou plusieurs peines dont la durée est de dix ans minimum et dont la durée d’incarcération restant à subir est de cinq ans, des condamnés ou prévenus à raison d’actes de terrorisme prévu aux articles 421-1 et suivants du Code pénal et des condamnés ou prévenus inscrits au répertoire des détenus particulière signalés ;
  • lorsque le quartier de prise en charge de la radicalisation se situe dans une maison centrale ou un quartier de maison centrale ;
  • lorsque le quartier concerné se situe dans le ressort d’une autre direction interrégionale des services pénitentiaires que celle dont relève l’établissement au sein duquel se trouve le détenu.

Dans les autres cas, c’est au directeur interrégional des services pénitentiaires de décider du placement ou non. Le placement n’interviendra qu’à l’issue d’une évaluation de la dangerosité réalisée par une équipe pluridisciplinaire.
 
Affecté en cellule individuelle, l’intéressé connaîtra une cellule aménagée pour garantir des conditions de sécurité renforcées et fera l’objet de mesures de sécurité, individualisées, régulièrement réévaluées. L’exercice du culte et les promenades pourront s’effectuer séparément des autres personnes détenues dans certaines conditions. Il s’agit d’une décision administrative et non d’une mesure disciplinaire.
 
Côté procédural, lorsqu’une décision de placement initial est envisagée, le chef d’établissement doit informer la personne concernée par écrit en précisant les motifs. Il l’informe également du déroulement de la procédure et du délai de minimum soixante-douze heures pour qu’elle prépare ses observations écrites ou orales. Un avocat peut être présent lors de la consultation des éléments de la procédure. Les observations seront jointes au dossier de la procédure et ce dernier sera transmis à l’autorité prenant la décision de placement. La décision de placement devra être motivée et notifiée sans délai à la personne concernée.
 
L’hospitalisation ou le placement en cellule disciplinaire n’aura aucun impact sur le terme du placement en quartier de prise en charge de la radicalisation antérieurement décidé. Sinon, « en cas d'interruption pour un autre motif, la mesure de placement reprend pour la durée qui restait à courir au moment de l'interruption. Toutefois, si l'interruption est supérieure à un an, le placement doit résulter d'une nouvelle décision prise conformément aux dispositions » prévues par ledit décret.
 
Le transfèrement du détenu vers un autre établissement doit s’opérer dans le quartier de prise en charge du nouvel établissement. À défaut, le transfèrement emporte fin du placement en quartier de prise en charge de la radicalisation.
 
« D'office ou à la demande de la personne détenue, l'autorité qui a prononcé le placement en quartier de prise en charge de la radicalisation peut décider ou refuser d'y mettre fin » précise également le décret. L’avis de la commission pluridisciplinaire unique, du chef d’établissement et le cas échéant du directeur interrégional des services pénitentiaires devra être pris en compte. Et la commission devra procéder à une évaluation de la situation avant le terme de la mesure. Elle émet d’ailleurs, après chaque évaluation, un avis sur l’opportunité du maintien ou non au sein du quartier.
 
Comme pour l’unité pour détenus violents, « toute décision de placement en quartier de prise en charge de la radicalisation est communiquée sans délai par le chef d'établissement au juge de l'application des peines s'il s'agit d'une personne condamnée ou au magistrat saisi du dossier de la procédure s'il s'agit d'une personne prévenue ». Et une fois par trimestre, le chef d’établissement devra rendre compte à la commission de l’application des peines du nombre, de l’identité et de la durée du placement pour chacun des détenus placés. Communication attendue pour l’équipe de l’unité sanitaire de l’établissement à chaque modification de l’effectif.
 
  • Décret relatif à l’expérimentation des actions de formation par apprentissage dans les établissements pénitentiaires
 
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel (L. n° 2018-771, 5 sept. 2018, JO 6 sept.), prévoyait dans son article 12 la possibilité pour les détenus âgés au plus de vingt-neuf ans révolus d’obtenir une qualification professionnelle sanctionnée par un diplôme ou un titre à finalité professionnelle. Le décret (D. n° 2019-1463, 26 déc. 2019, JO 28 déc.) vient préciser les conditions de mise en œuvre de l’expérimentation, prévue pour une durée de trois ans à partir du 1er janvier 2020.
 
Ainsi, l’apprentissage en établissement pénitentiaire est une forme d’éducation alternée associant :
  • « une formation fondée sur l'exercice d'une ou plusieurs activités professionnelles en relation directe avec la qualification objet de l'apprentissage assurée, selon le régime sous lequel les activités professionnelles sont exercées et le mode de gestion de l'établissement pénitentiaire » par l’administration pénitentiaire, l’entreprise délégataire de la gestion de l’établissement pénitentiaire, l’agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle pour les personnes placées sous-main de justice, l’entreprise concessionnaire de main d’œuvre pénale ou une autre entreprise lorsque la formation est dispensée en dehors de l’établissement dans le cadre d’un aménagement de peine ou de permission de sortir ;
  • et « des enseignements dispensés pendant le temps de travail par un centre de formation d'apprentis ».
 
Le détenu suivant la formation percevra une rémunération ne pouvant être inférieure au taux horaire fixé en application du dernier alinéa de l’article 717-3 du Code de procédure pénale.
 
Le décret précise que la participation d’un détenu à une action de formation par apprentissage donne lieu par l’administration pénitentiaire d’un « acte d’engagement en apprentissage dans les conditions prévues à l'article 33 de la loi du 24 novembre 2009 susvisée ». Seront précisés notamment:
  • la qualification professionnelle ou le titre à finalité professionnelle préparé ;
  • la période d’exécution de l’engagement ;
  • les modalités de l’alternance ;
  • l'identité du tuteur de la formation en poste de travail qui peut être une personne libre ou détenue, employée ou non par la structure assurant la formation.
 
Ce dernier « a pour mission de contribuer à l'acquisition par le détenu en apprentissage des compétences correspondant à la qualification recherchée et au titre ou diplôme préparé, en liaison avec le centre de formation d'apprentis » indique le décret.
 
L’administration pénitentiaire devra elle veiller à l’inscription du détenu dans un centre de formation d’apprentis assurant l’enseignement correspondant à ce que prévoit l’acte d’engagement, et à sa participation aux épreuves du diplôme ou du titre sanctionnant la qualification professionnelle visée. Le détenu, pour la préparation des épreuves du diplôme ou du titre, aura droit à un congé de cinq jours ouvrables au cours du mois précédant les épreuves et conservera le bénéfice de sa rémunération.
 
Dans l’hypothèse de la libération du détenu avant le terme de l’acte d’engagement, « l’engagement prend fin ». Néanmoins, la période d’apprentissage réalisée pourra être prise en compte pour aménager la durée et modalités de mise en œuvre d’un contrat d’apprentissage conclu en application du Code du travail.
 
  • Décret relatif à l’assujettissement aux contributions sociales de la rémunération des détenus
Le décret (D. n° 2019-1534, 30 déc. 2019, JO 31 déc.) vient préciser le pourcentage de rémunération due aux personnes effectuant un travail pénitentiaire mais ne faisant pas l’objet d’assujettissement à la contribution sociale généralisée.
 
Le pourcentage de la rémunération est ainsi fixé à 38 %. « Les dispositions du présent décret sont applicables aux contributions sociales dues au titre des périodes d'activité courant à compter du 1er janvier 2020 », détaille le décret.
 
  • Décret modifiant le décret relatif au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire
 
Le décret (D. n° 2019-1508, 30 déc. 2019, JO 31 déc.) vient modifier la procédure disciplinaire en cas d’acte collectif d’indiscipline et de cessation concertée du service en mettant en place une procédure adaptée de sanction « qui respecte le principe du contradictoire, tout en tenant compte des sujétions des personnels des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire » avance la notice du décret.
 
L’article 86 du décret n° 66-874 du 21 novembre 1966 est modifié par les dispositions suivantes : « En cas de méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958 susvisée, (encadrant toute cessation concertée du service et tout acte collectif d’indiscipline) l'autorité investie du pouvoir de nomination peut prononcer l'une des sanctions disciplinaires énumérées à l'article 66 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l' État ».

Ainsi, le fonctionnaire est informé de l’engagement d’une procédure de sanction à son encontre par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, qui indique les faits qui lui sont reprochés. « Y sont annexées les pièces sur lesquelles l'administration se fonde » précise le décret. Il a dix jours francs à compter de la réception pour présenter ses observations écrites.
 
« Lorsque la sanction envisagée est une révocation, la décision est en outre précédée d'un entretien de l'autorité investie du pouvoir de nomination avec le fonctionnaire intéressé. Celui-ci peut, dans tous les cas, se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix », prévoit le décret. 
 
Le décret est entré en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 1er janvier 2020.
 
  • Décret modifiant diverses dispositions relatives au renseignement pénitentiaire
Le décret (D. n° 2019-1503, 30 déc. 2019, JO 31 déc.), entré en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel, a été pris pour modifier diverses références réglementaires au renseignement pénitentiaire. Son objectif : les adapter à la nouvelle organisation. « En effet, par arrêté du 29 mai 2019, a été créé un service à compétence nationale dénommé Service national du renseignement pénitentiaire qui se substitue à l'ancien bureau central du renseignement pénitentiaire au sein de la direction de l'administration pénitentiaire, aux cellules interrégionales au sein des directions interrégionales des services pénitentiaires et à la mission des services pénitentiaires de l'outre-mer » précise la notice du décret.
 
Le Code de la sécurité intérieur va être modifié, le Service national du renseignement pénitentiaire pouvant mettre en œuvre certaines techniques de recueil de renseignement. Le service peut recourir à des techniques prévues par ce Code pour :
  • prévenir les atteintes à la forme républicaine des institutions ;
  • les actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous ;
  • les violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique.
 
Le service peut dorénavant demander l’accès à des lieux d’habitation pour y poser des dispositifs techniques déterminés pour prévenir la criminalité et la délinquance organisée. « Enfin, le présent décret ne limite plus aux seules personnes placées sous main de justice le champ des personnes à l'égard desquelles le Service national du renseignement pénitentiaire est susceptible de mettre en œuvre des techniques de recueil de renseignement au titre de l'une des finalités mentionnées aux 4°, 5° et 6° de l'article L. 811-3 » souligne la notice du décret.
 
Source : Actualités du droit